Jeunesse musulmane: appartenance, transmission et mise en réseaux

Une population plus jeune que la population résidente permanente non musulmane
En Suisse, les musulmanes et musulmans sont en moyenne plus jeunes que la population non musulmane du pays. En 2018, une personne sur huit dans la population suisse totale était âgée de 15 à 24 ans, alors que presque un∙e musulman∙e sur cinq appartenait à cette tranche d’âge. La proportion de personnes en âge de travailler (25 à 64 ans) est également plus élevée chez les personnes de culture et/ou confession musulmane (environ 74,7 %) que dans l’ensemble de la population du pays (environ 66,4 %). Cependant, la différence est particulièrement frappante dans le groupe des personnes âgée de plus de 65 ans : Alors qu’une personne sur cinq résidant de façon permanente en Suisse a atteint cet âge, seul un musulman sur 18 est âgé de 65 ans ou plus.
Pourquoi ces différences d’âge ?
Ces différences dans la pyramide des âges ne sont toutefois pas dues au fait que les couples musulmans fondent des familles avec un nombre élevé d’enfants. Le faible nombre de seniors musulmans s’explique plutôt par le fait que beaucoup d’entre eux décident encore de retourner dans leur pays d’origine après avoir terminé leur vie professionnelle. Cependant, la moyenne d’âge relativement basse est également due au fait que l’histoire de la migration des populations de culture et/ou confession musulmane en Suisse est encore très récente. Un nombre considérable d’entre eux ne sont arrivés que dans les années 1980 et surtout 1990. Ces personnes étaient souvent encore jeunes et ont laissé leurs parents et grands-parents dans leur pays d’origine ; tandis qu’elles-mêmes ont fondé leur famille en Suisse ou ont migré avec de jeunes enfants qui, à leur tour ont eu ou auront des enfants dans ce pays.
Il sera intéressant de voir si et quand les personnes de culture et/ou confession musulmane s’installeront aussi plus durablement en Suisse à l’âge de la retraite. Comme de plus en plus de musulman∙e∙s naissent et se socialisent en Suisse (cela concernait déjà une personne sur trois il y a 20 ans) (Schneuwly Purdie, 2010, p. 24), ce n’est qu’une question de temps pour que la pyramide des âges de la population musulmane soit alignée sur celle du reste de la population du pays.
Structure par âge des musulmans et de l’ensemble de la population
Source : Office fédéral de la statistique, Neuchâtel, RS 2018
Des appartenances multiples
En Suisse, un peu moins de la moitié de la population musulmane est âgée de moins de 35 ans (2016-2018 : environ 46,4 %) et un peu moins de la moitié d’entre eux ont la nationalité suisse (2016-2018 : environ 49,6 %). Pour cette partie de la population, il est ainsi évident d’être des acteurs et actrices de la société helvétique. Dans ce contexte, l’appartenance religieuse peut jouer un rôle à des degrés divers. Elle peut être une partie constitutive de leur identité, mais elle peut aussi être totalement secondaire. Comme les autres jeunes, les jeunes musulman∙e∙s évoluent dans des réalités différentes et complexes, riches de toutes les possibilités qu’offrent les sociétés contemporaines pour façonner sa propre vie. Il est dès lors impossible de les réduire à une appartenance religieuse a priori. Leurs appartenances multiples en matière d’éducation, de travail, de famille, d’amis et de loisirs, etc. doit pour chacun∙e être prise en compte.
Style de vie et identité religieuse
C’est généralement à l’adolescence ou au début de l’âge adulte que débute une réflexion approfondie sur son identité religieuse. Cette réflexion peut se manifester sous différentes formes et ne pas concerner tout le monde dans les mêmes proportions. De plus, elle ne signifie pas automatiquement que la religion va devenir un déterminant important de leur identité. Toutefois, contrairement aux membres d’autres communautés religieuses, de nombreux jeunes musulman∙e∙s sont régulièrement amené∙e∙s à se positionner et répondre à des questions sur leur religion, tant sous la pression des débats publics mais aussi par les interrogations de leurs ami∙e∙s, des collègues de leur environnement professionnel ou scolaire. En raison de leur appartenance supposée à la religion musulmane, ils et elles sont souvent perçu∙e∙s comme des expert∙e∙s, même s’ils et elles ne sont pas très religieux∙euses. Toutefois, ces demandes répétées peuvent parfois amener les jeunes musulman∙e∙s à s’intéresser davantage à leur propre identité religieuse.

Participantes aux Assises de l’UVAM/VD au Complexe culturel des musulmans de Lausanne (CCML). Photo prise en 2022 par D. Dunand. © CSIS
L’éventail des possibilités de s’informer sur l’islam est large. Pour la jeune génération, Internet constitue souvent la source première d’information. Ils et elles se tournent aussi fréquemment vers les membres de leur famille, des proches et des ami∙e∙s. La fréquentation d’offres éducatives et la lecture d’ouvrages constitue une autre source de formation privilégiée. À noter que les enfants et les jeunes scolarisé∙e∙s participent en général également aux cours d’éthique et de culture religieuse proposés dans la grille horaire d’une majorité des cantons. Ceux et celles qui fréquentent les activités d’une mosquée ont en général aussi la possibilité d’y suivre des cours sur la religion musulmane, le Coran, la Sunna ou encore l’éducation religieuse islamique. L’imam principalement en charge de la mosquée peut finalement aussi êtreconsulté sur des questions spécifiques. Cependant, l'imam n’est pas le seul interlocuteur de cette génération en matière de religion. Comme l’ont montré des études, les jeunes musulman∙e∙s font généralement preuve d’esprit critique face aux différentes sources d’information, y compris les positions des imams. Si les réponses apportées ne prennent pas en compte leur propre contexte de vie ainsi que la société locale dans laquelle ils et elles vivent, ils et elles seront facilement prêt∙e∙s à les rejeter et à orienter leur style de vie vers d’autres sources d’information ou offres éducatives (cf. Endress et al., 2013 ; Baumann et al., 2017).
Les réseaux en tant que forme d’organisation
En marge des associations musulmanes traditionnellement organisées autour de la pratique et de la transmission religieuse, et dont beaucoup sont encore imprégnées par des us et coutumes des pays d’origine, un certain nombre de groupes ou d’associations de jeunes organisés et dirigés par de jeunes adultes ont également vu le jour ces dernières années. Citons par exemple les associations d’étudiant∙e∙s musulman∙e∙s désormais présentes dans presque toutes les universités suisses. Ce faisant, ces jeunes ont souvent créés des réseaux au-delà des frontières cantonales, mais aussi des clivages dénominationnels et ethniques. La réunion annuelle du réseau des groupes de jeunes et des associations d’étudiant∙e∙s musulman∙e∙s en Suisse, organisée par le Young Swiss Muslim Network (YSMN) est un exemple. En règle générale, la langue parlée est soit une langue nationale suisse, soit l’anglais. Les groupes de jeunes musulman∙e∙s organisent aussi des conférences et des séminaires, des excursions, des festivités et des manifestations sportives, mais aussi des activités caritatives telles que le soutien scolaire, la collecte de vêtements et d’autres propres projets. Le projet #SwissMuslimStories, réalisé par un groupe de jeunes adultes engagés et soutenu financièrement par la Plateforme Jeunes et Médias de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), des services étatiques, deux fondations et des organisations musulmanes, est ici à mentionner comme un exemple de la manière dont la diversité musulmane est abordée et représentée en Suisse.
Méthodologie
- Base des données
Pour la présentation des données sociodémographiques sur les musulman∙e∙s en Suisse, nous nous sommes appuyés sur des données que l’Office fédéral de la statistique à Neuchâtel a publiées ou qu’il nous ont mises à notre disposition pour la rédaction des pages de ce site. Nos évaluations et analyses sont basées sur différentes enquêtes et sources de données :
- Pour la présentation de données individuelles telles que le nombre de musulman∙e∙s dans les cantons, nous nous basons sur le Relevé Structurel (RS) de l’Office fédéral de la statistique de 2018. Pour analyser l’évolution des données, nous utilisons parfois également les données des Relevés Structurels de 2014 et 2010. Le Relevé Structurel est mené chaque année auprès d’un échantillon représentatif de la population de 200’000 personnes. Il collecte des données sur la population résidente permanente âgées de 15 ans et plus, vivant dans un ménage privé. L’utilisation des sources de données est indiquée dans les sections de texte, tableaux et graphiques respectifs sous les abréviations RS 2010, 2014 et 2018.
- Afin que le nombre de répondant·e·s de l’échantillon soit statistiquement significatif, nous avons parfois eu recours aux données du Relevé Structurel additionnées sur 3 ans. Nous nous sommes dans ce cas appuyés sur les données cumulées de 2016 à 2018. Ce recours aux données dites ‘poolées’ est indiqué sous les sections de texte, tableaux et graphiques respectifs sous l’abréviation RS 2016-2018.
- En raison de ces différentes sources de données, il peut arriver que les chiffres présentés divergent quelque peu.
- Malgré l’utilisation de données cumulées, la taille de l’échantillon (N) ne permet pas toujours de donner des résultats statistiquement fiables, de procéder à des généralisations ou d’émettre des explications. Ceci est particulièrement le cas pour les analyses croisant plusieurs données sociodémographiques (telles que l’âge, le niveau de formation ou la migration). Dans nos analyses, ce constat est particulièrement pertinent pour le Tessin. Par conséquent, les données sur le Tessin ne sont parfois pas utilisées dans nos présentations ou les descriptions qui en découlent sont formulées sous forme d’estimations.
- Les personnes ayant la nationalité suisse et une autre nationalité ne sont pas répertoriées deux fois par l’Office fédéral de la statistique. Elles ne sont dès lors mentionner qu’une fois également dans nos analyses. Elles sont ainsi uniquement décomptées dans le groupe des personnes ayant la nationalité suisse.
- Dans certains cas, ce sont les résultats de la Statistique de la Population et des Ménages qui sont utilisées (indiqués sous la forme STATPOP). Ceux-ci sont basés sur une enquête annuelle utilisant les registres étatiques (registres de la population de la Confédération, des cantons et des communes ainsi que le registre fédéral des bâtiments et des logements). Ces sources des données comprennent les personnes de la population résidente permanente et non-permanente.
- L’Enquête Langue, Culture et Religion (ELCR) 2014 de l’Office fédéral de la statistique est mentionnée également mentionnée. Basée sur un échantillon de 10’000 personnes, cette enquête est menée tous les 5 ans depuis 2014. L’ELRC comprend des données sur la population résidente permanente de âgées de 15 ans et plus vivant dans des ménages privés.
- La notion de musulman∙e∙s
Dans nos descriptions des données sociodémographiques sur les musulman∙e∙s en Suisse, sont désigné·e·s comme musulman∙e∙s les personnes qui ont répondu « musulmane » à la question « De quelle église ou de quelle communauté religieuse faites-vous partie » dans les questionnaires individuels des Relevés Structurels de 2010, 2014, 2016, 2017 et 2018.
Toutefois, cette question ne permet pas de s’exprimer sur le degré de religiosité des personnes y ayant répondu. Les chiffres développés intègrent aussi bien une personne née dans une famille musulmane, n’ayant par exemple ni croyance ni pratique, mais pour qui la filiation religieuse reste importante ; qu’une personne qui essaie de respecter de son mieux les prescriptions de sa religion, comme la prière, le jeûne ou l’alimentation.
- Définition des régions linguistiques
Dans nos analyses, deux délimitations des régions linguistiques sont utilisées.
Dans la plupart des cas, les régions linguistiques telles qu’elles sont présentées résultent d’une construction à partir de la langue majoritairement parlée dans le canton et non de la langue majoritairement parlée dans la commune. Ainsi, les données des cantons de Fribourg ou du Valais apparaissent comme résultats de la Suisse romande, alors que les données du canton de Berne apparaissent exclusivement comme étant de Suisse alémanique. Cette distinction est motivée pour deux principales raisons : d’une part, les questions de politiques religieuses sont administrées au niveau des cantons (art. cst 72). Ainsi, les débats sur la présence de personnes ou de communautés confessionnelles sont conditionnées par leur ancrage sociétal et politique local et non l’usage majoritaire d’une langue. Autrement dit, si l’on parle des associations musulmanes ou des pratiques des musulman·e·s germanophones de Fribourg, il sera plus déterminant qu’ils et elles résident dans le canton de Fribourg plutôt qu’ils et elles parlent allemand. D’autres part, cette subdivision cantonale est également celle qui domine dans la population suisse et qui est généralement relayée par les médias.
En revanche, les données publiées par l’Office fédéral de la statistique, reposent sur une définition des régions linguistiques calculée à partir des différentes communes, de sorte que certaines communes valaisannes ou fribourgeoises appartiennent à la Suisse alémanique, alors que certaines communes bernoises sont recensées comme Suisse romande. Nous n’avons utilisé cette répartition linguistique que dans les cas où les données disponibles ne nous permettaient pas de reconstruire différemment les régions linguistiques. Toutefois, les différences entre les chiffres sont négligeables et n’ont aucune influence sur l’interprétation de nos données, qui se limitent à discuter des tendances et des développements à long terme.
Appartiennent aux régions linguistiques suivantes :
à la Suisse italienne : le Tessin
à la Suisse romande : Genève, Vaud, Valais, Jura, Neuchâtel, Fribourg
à la suisse germanophone : tous les autres cantons
- Définition des régions d’origine
Dans nos présentations, nous combinons différents pays en régions géographiques. Là où nos textes font référence aux nationalités, nous ne différencions pas selon l’appartenance à des Etats, mais selon des groupes de nationalités, par exemple « les musulmans ayant la nationalité d’un État des Balkans ». Nous définissons les régions d’origine suivants et y comptons les pays suivants :
- Suisse
- Maghreb : Tunisie, Algérie, Maroc, Libye
- Moyen-Orient : Égypte, Liban, Syrie, Israël-Palestine, Irak, pays du Golfe (-> Arabie Saoudite,
Koweït, Oman, Qatar, Bahreïn, Émirats Arabes Unis), Yémen, Jordanie
- Asie centrale et méridionale : Iran, Afghanistan, Inde, Pakistan, Indonésie, Tadjikistan, Ouzbékistan,
Russie, Bangladesh, Sri Lanka
- Balkans : Bosnie-Herzégovine, Albanie, Serbie, Macédoine, Monténégro, Kosovo
- Turquie
- Afrique subsaharienne
- les musulman∙e∙s des pays de l’UE et de l’AELE
Bibliographie
Littérature
- De Flaugergues, A. (2016). Pratiques et croyances religieuses et spirituelles en Suisse. Premiers résultats de l’Enquête sur la langue, la religion et la culture 2014. Neuchâtel : Office fédéral de la Statistique (OFS).
- Fibbi, R., Bülent, K., Moussa, J., Pecoraro, M., Rossy, Y. & Steiner, I. (2014). Les Marocains, les Tunisiens et les Algériens en Suisse. Berne : Office fédéral des migrations (ODM).
- Gianni, M., Giugni, M. & Michel, N. (2015). Les musulmans en Suisse. Profils et intégration. Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes.
- Gianni, M., Schneuwly Purdie, M., Lathion, S. & Jenny, M. (2010). Vie musulmane en Suisse. Profils identitaires, demandes et perceptions des musulmans en Suisse. Rapport réalisé par le Groupe de Recherche sur l’Islam en Suisse (GRIS). Berne : Commission fédérale pour les questions de migration CFM.
- Iseni, B., Ruedin, D., Bader D. & Efionayi-Mäder, D. (2014). La population de Bosnie et Herzégovine en Suisse. Berne : Office fédéral des migrations (ODM).
- Lindemann, A. & Stolz, J. (2018). The Muslim Employment Gap, Human Capital, and Ethno-Religious Penalties: Evidence from Switzerland. Social Inclusion, 6 (2), 151-161.
- Schmid, H., Schneuwly Purdie, M., Lang, A. & Tunger-Zanetti, A. (2018). CSIS-Paper 4 : Jeunes musulmans dans la société. Participations et perspectives. Fribourg : Université de Fribourg.
- Schneuwly Purdie, M. (2010). De l’étranger au musulman. Immigration et intégration de l’islam en Suisse. Saarebruck : Éditions universitaires européennes.
- Schneuwly Purdie, M., & Tunger-Zanetti, A. (2023). Switzerland. Country report 2021. In S. Akgönül, J. Nielsen, A. Alibasic, S. Müssig, & R. Egdunas (Éds.), Yearbook of Muslims in Europe (Brill, Vol. 14, p. 667‑683).
- Stegmann, R. & Schneuwly Purdie, M. (2019). CSIS-Papers 6 : À propos de l’héritage. Usages et enjeux pour les musulman·e·s de Suisse. Fribourg : Université de Fribourg.
Pour aller plus loin
Littérature
- Arsever, E. (2015). Qui sont les Alévis-Baktashis ? Un regard intérieur. In Religioscope.
- Behloul, S. M. & Lathion, S. (2007). Muslime und Islam in der Schweiz: Viele Gesichter einer Weltreligion. In M. Baumann & J. Stolz (Hrsg.), Eine Schweiz – viele Religionen. Risiken und Chancen des Zusammenlebens (pp. 223-237). Bielefeld: transcript.
- Commission fédérale contre le racisme CFR (1999). Tangram 7. Musulmans en Suisse.
- Haab, K., Bolzman, C., Andrea Kugler, A. & Yılmaz, Ö. (2010). Diaspora et communautés de migrants de Turquie en Suisse. Berne : Office fédéral des migrations.
- Piaget, E. (2005). L’immigration en Suisse, 60 ans d’entrouverture. Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes.
- Schmid, H. & Trucco, N. (2019). CSIS-Papers 7 : Itinéraires de formation des imams en Suisse. Fribourg : Université de Fribourg.
- Schneuwly Purdie, M., Gianni, M. & Magali, J. (2009). Musulmans d’aujourd’hui. Identités plurielles en Suisse. Genf: Labor et Fides.
- Zürcher, M. & Kübli, B. (2017). Islam in der Schweiz. Schweizerischen Akademie der Geistes- und Sozialwissenschaften, 2.